Le Foyer Campra 

Après plus d’un an de travaux financés par la Métropole TPM avec le soutien de l’État, le Foyer Campra de l’Opéra de Toulon a retrouvé son éclat d’antan.

Toiles, bustes, lustres restaurés, parquet changé, sans oublier l’intégration d’équipements scéniques performants ainsi qu’une mise aux normes des installations électriques et de sécurité incendie. Parmi les nouveautés une scène élévatrice a été installée sans dénaturer ce foyer datant du Second Empire.

La précédente grande restauration avait eu lieu entre 1922 et 1927, avec la commande des 16 peintures.

La salle est fin prête pour une nouvelle programmation de concerts de musique de chambre, récitals, conférences, réceptions…

Le Grand Foyer, baptisé du nom de Campra en mémoire d’André Campra (1660-1744), musicien né à Aix-en Provence, qui a passé quelques années à la maîtrise de la cathédrale de Toulon. Successeur de Lully, il fut appelé à la Cour et devint célèbre, notamment en créant un genre théâtral nouveau et typiquement français, celui de l’Opéra-ballet.

Le foyer qui occupe depuis 1898 toute la largeur intérieure du bâtiment (22 mètres) était limité à l’origine à la largeur des trois portes fenêtres ouvertes sur la loggia. Deux salons plus petits étaient situés à chaque extrémité. Avec cet agrandissement le foyer a pris des proportions magnifiques, surtout grâce au jeu de miroirs latéraux qui multiplient et mettent en abyme les trois grands lustres d’origine, aujourd’hui électrifiés. Il est temps de signaler qu’à sa construction, le grand Théâtre de Toulon était à la pointe du modernisme : l’éclairage, le chauffage et les jeux de lumières étaient au gaz.

 

La décoration du foyer fut donc refaite entièrement en 1898 par Joseph Grandy et il en reste tous les stucs, médaillons, mosaïques d’or et bustes de la partie haute du décor.

Les 16 toiles du foyer 

En 1922 on passa la commande de seize grandes toiles à seize peintres. Des travaux, réalisés entre 1923 et 1924, pour installer le chauffage central obligeaient à supprimer les banquettes et miroirs, donc, à refaire la partie basse de la décoration. Parmi ces peintres, trois femmes et treize hommes, de renom travaillant à Toulon. C’est ainsi que le Foyer du Grand Théâtre de Toulon devint en 1924 une véritable galerie d’exposition pour ces peintres qu’ils soient paysagistes, peintres de marine, spécialistes de portraits ou de natures mortes…. Ces tableaux, qui sont tous liés au monde de la musique, de la danse ou de l’art dramatique, ont subi les outrages conjugués du temps et des « restaurateurs » successifs, néanmoins il est intéressant de les détailler.

Ces artistes représentaient différentes générations : le plus jeune, Fély-Mouttet avait 30 ans en 1922 et le plus âgé, Brunet-Debaine avait 77 ans. Les trois femmes peintres, Fernande Cormier (1888-??), Claire Maliquet (1878-1964) et Marie de Pierrefort-Nivoulies (1879-1968) avaient été formées aux Beaux arts de Paris. La première des trois, Fernande Cormier, était Second Prix de Rome en 1919 et sa toile, embrumée par le temps, se ressent de l’influence symboliste.
Les autres peintres étaient presque tous liés à l’école de Beaux-arts de Toulon (anciens élèves, professeurs ou directeurs). Paulin-Bertrand, Dauphin, Montenard et Lainé-Lamford étaient peintre de la Marine, Geo-Roussel et Brunet-Debaines, originaires de Normandie, s’étaient installés tardivement à Toulon. On notera Berton, qui était à l’époque le décorateur du Théâtre de Toulon et qui a peint un Pierrot rêveur des plus « véristes »*.

Certains de ces artistes ont reçu de nombreuses commandes officielles : on peut citer Montenard (Amphi minéralogique de la Sorbonne, Buffet de la Gare de Lyon, Hôtel de Ville de Toulon), Dauphin (Gare de Lyon, Buffet de la Gare de Nice, Salle des fêtes du Cercle Naval de Toulon), Amoretti (Hôtel de Ville de Paris, Exposition Universelle de 1900, Exposition internationale de Chicago).

On peut signaler que Montenard fut le professeur de François Nardi, Amoretti fut celui de Baboulène, que Fely-Mouttet appartenait au groupe Art-Vivant de Toulon avec Baboulène, Sabatier et Tamari. Nul n’ignore que Paulin-Bertrand, ami de Jean Aicard, le soigna jusqu’à sa mort dans la maison de La Garde « Les Lauriers Roses » aujourd’hui Musée Jean Aicard**, où se trouvait son atelier. Bonny était l’élève du toulonnais Letuaire, Mattio qui était l’élève de Bonny, pouvait s’enorgueillir de vivre de sa peinture. Sa toile*** est très illisible aujourd’hui. Il a représenté, une jeune fille dansant avec une chèvre blanche au son d’un chalumeau, avec en fond une vue de Toulon au pied du Mont-Faron prise de la baie des Sablettes : on cherche vainement Toulon dans la grisaille bleutée qui recouvre aujourd’hui la toile. Eugène Dauphin était le fils de l’entrepreneur Etienne Dauphin qui construisit grand nombre d’immeubles de la haute ville du nouveau Toulon et du Boulevard de Strasbourg et peut-être l’Opéra lui-même. Dauphin fils était l’élève de Courdouan.

Levéré est aujourd’hui un peintre très coté pour ses paysages provençaux, tout comme Montenard. Lainé-Lamford avait vécu à Paris de ses talents de chansonnier et de ses critiques d’art. Il était ami de Debussy. Il fit ensuite carrière dans l’Armée Coloniale puis dans la Marine Nationale.

Quand aux femmes, si Claire Maliquet s’éteignit à Toulon à 86 ans, c’est à Rio de Janeiro que son goût pour l’exotisme conduisit la toulonnaise Marie de Pierrefort-Nivoulies à finir ses jours à 89 ans. Ses Arlésiennes**** ont été entièrement repeintes lors d’un important dégât des eaux dans les années 70, masquant le véritable talent de cette artiste qui exposa au Salon des Indépendants à Paris de 1907 à 1955. Et rappelons encore le 2nd prix de Rome de Fernande Cormier.

Revenons aux tableaux, dont les sujets, rappelons-le, n’ont pas obligatoirement de relation avec le buste du musicien qui surmonte la toile.

Nous les citons tous les seize en faisant le tour du foyer, à partir de la porte centrale, dans le sens des aiguilles d’une montre, précédés du nom du musicien lié à la toile :

Nous quittons le foyer pour nous attarder un peu sur le palier en marbre blanc et noir, en nous appuyant sur la belle balustrade en bronze, encadrée par les deux grands candélabres, originellement éclairés au gaz.

On remarquera la toile n°10, placée presque en face de la porte centrale. Claire Maliquet y présente une perspective moderne, éloignée de toute vraisemblance. Cette œuvre est très composée, proposant un élément intéressant qui la relie au lieu où elle se trouve : les arcades peintes, ainsi que les colonnes grises et roses font écho à celles de la loggia du Grand Théâtre de Toulon que l’on aperçoit à travers les portes fenêtres. Claire Maliquet a inséré une nature morte aux fruits et un véritable portrait de femme vêtue à la mode, belle époque, de 1923, de sorte que ce que l’on voit dans le tableau semble être réel de la même manière que l’opéra que l’on voit sur une scène semble être momentanément une réalité.